Quand on assure des permanences régulières, on a des habitués. On n’est pas forcément heureux de les revoir tous : j’ai déjà évoqué certains dont j’aimerais ne plus entendre parler.
Et il y a les « sympas », ceux auxquels on s’attache plus ou moins.
M. M. fait partie de ceux-là : ma prédécesseure m’en avait parlé et je le vois depuis que j’ai commencé en 2005, pratiquement chaque semaine.
Quand l’accès aux permanences était libre, il arrivait vers 13 heures, attendait en fumant que le rideau s’ouvre et se précipitait dans l’escalier pour être le premier à se présenter à l’accueil. Quand il n’était que le deuxième, il l’avait « mauvaise » : quelqu’un avait rusé pour lui passer devant.
À présent que je reçois sur rendez-vous, il retient toujours celui de 14 heures. L’agent qui répond au téléphone le connaît bien ; il passe des quarts d’heure à discuter avec elle. S’il ne peut avoir que le créneau de 14 h 30 ou, pire, 15 heures, il est fort contrarié et vient en avance, au cas où je le recevrais plus tôt, ce qui arrive fréquemment.
Il a perdu un œil lors d’un accident du travail et lit son courrier avec une loupe, ce qui est très fatigant. Il m’apporte souvent le courrier du matin pour avoir explication ou confirmation.
J’écris des petits mots à sa fille, à ses cousins, à mon ancienne consœur avec qui il est resté en contact, quelques courriers administratifs… Parfois, il me déclare qu’il est simplement passé me dire bonjour. Alors nous papotons quelques minutes… Il a quelquefois des réflexions de vieux réac’, alors je me permets de le remettre gentiment à sa place : « Enfin, M. M., vous ne pouvez pas dire ça ! »
Et cet après-midi, à 14 heures, alors que son nom est sur le planning, M. M. n’est pas là !
Je suis fort étonnée et l’agent d’accueil surenchérit : ce n’est pas habituel, ce n’est pas normal. La dernière fois qu’on ne l’avait plus vu de quelque temps, il était à l’hôpital après un accident.
J’appelle immédiatement A., l’agent préposé aux rendez-vous. Nous sommes à la limite de l’inquiétude : il vit seul et ne semble pas avoir beaucoup d’amis…
Elle essaie de le joindre, en vain, laisse des messages : rien.
La semaine suivante, M. M. est là : ouf !
Il est amusé d’avoir provoqué de tels remous « dans toute la mairie », mais content qu’on fasse autant cas de lui. Il croyait que j’étais en congé et avait oublié son rendez-vous. De plus, son téléphone ne fonctionnait pas, il n’a pas eu les appels.
Bon, plus de peur que de mal…