Mme M. est déjà venue deux ou trois fois me consulter. Je la reconnais à sa coiffure : les cheveux retenus en arrière, avec quelques petites nattes partant du haut de la tête ; pour son âge, c’est un peu bizarre.
Je ressens en la voyant une impression désagréable, je crois me souvenir que quelque chose n’allait pas avec elle ; la suite me donnera raison... Autre particularité : quand elle s’adresse à moi, elle me « madamoie », c’est-à-dire qu’elle n’utilise que « madame » comme sujet de ses phrases : « Madame sait mieux que moi… Madame termine à quelle heure ? ».
Elle et son mari sont propriétaires d’un appartement à Bordeaux. Elle m’a déjà demandé des courriers pour le syndic, un des propriétaires occupants. Aujourd’hui, c’est la même chose.
Le syndic a fait parvenir une convocation pour l’assemblée générale de copropriété prévue le 14 juin. Le courrier est daté du 17 mai et nous sommes le 10 juin.
Il a aussi ajouté un mot insistant sur deux points importants : l’estimation de dégâts éventuels dans l’appartement à la suite d’une fuite et l’invasion de rongeurs dans l’immeuble avec la nécessité de traiter tous les logements.
Mme M. veut indiquer qu’elle et son mari ne pourront pas être présents à l’AG. Quatre jours avant, il est temps !
Je lui rappelle les points mis en avant et lui demande s’il y a des dégâts dans son appartement.
« On sait pas, on y va jamais.
— Mais il n’y a pas de locataires ?
— Non, il est vide.
— Il faut dire si l’appartement a été abîmé.
— On ira en septembre ; avant, on a pas le temps. »
Bon, j’écris ça.
« Et pour les rats ?
— On a pas de rats.
— Comment vous le savez si vous n’y allez pas ?
— Quand on a acheté, y avait pas de rats.
— Vous avez acheté quand ?
— Oh, il y a longtemps !
— Depuis, les rats ont eu le temps de s’installer, surtout s’il n’y a personne.
— On est au premier. Les rats, c’est à la cave, ils montent pas. Le monsieur (le syndic), il est au deuxième…
— Les rats, ça passe partout ! En suivant les canalisations, les câbles électriques… Si le monsieur au deuxième a des rats, il est probable que vous en ayez aussi au premier.
— S’il a des rats chez lui, il a qu’à les tuer !
— Mais vous ne vous rendez pas compte, madame ! S’il y a des rats partout, ce n’est pas en mettant trois tapettes que vous allez les exterminer. Il faut faire appel à une entreprise spécialisée. »
En disant ça, je dois avoir une tête catastrophée, que Mme M. voit bien ; mais elle l’interprète mal, c’est surtout sa bêtise qui me consterne.
« Moi, j’étais comme vous… Les rats, ça me fait peur. »
Elle ne comprend rien de rien, la pauvre.
Et j’écris que, dans son appartement, il n’y a pas de rats parce qu’il n’y en avait pas quand ils l’ont acheté. (N’importe quoi !)
Puis je m’aperçois qu’il y a un pouvoir. Je lui demande s’il faut le remplir.
« Oh non, c’est lui qui va nous représenter.
— Alors il faut le lui dire.
— Oh non, je vais pas faire ça.
— Mais enfin, madame, si vous voulez être représentée, il faut faire les choses correctement !
— Vous pouvez le remplir ? »
Je lui recommande de mettre l’enveloppe à la poste immédiatement, car le délai est très court.
« Je le ferai demain, j’ai oublié les timbres. Vous savez, ça va très vite, le courrier. »
Ben voyons !
Elle est cinglée !
Je plains sincèrement les autres copropriétaires de devoir supporter un tel énergumène.