Quand je vois Mme M., mon avertisseur interne commence à clignoter. Je l’ai déjà vue, je m’arme de courage.
Dans le couloir, elle commence à marmonner : « Je veux pas faire de scandale, mais ça commence à bien faire… »
Je lui réponds, trois pas devant : « Madame, attendez que nous soyons dans le bureau. »
Mais elle continue.
Dans le bureau, je dois l’interrompre pour lui poser les questions rituelles pour mes statistiques.
Et c’est reparti !
« Mon mari va pas être d’accord, mais j’en ai marre… »
Elle en a après :
- un couple de voisins de l’immeuble d’en face qu’elle croyait être des amis, mais qui boivent et qui fument et colportent des ragots sur sa fille…
- un autre voisin d’un autre immeuble, handicapé, qui travaille normalement dans un centre mais qui est en longue maladie…
- les voisins du dessus qui font du bruit…
- le fils de Loulou qui la calomnie…
- les voisins du dessous qui l’accusent de jeter des choses par le balcon…
Elle veut « faire virer » la femme du couple, qui travaille à la mairie, et, pour cela, veut écrire au maire.
Elle lui demandera aussi qu’on arrête de la traiter de folle…
Elle veut qu’on respecte sa carte d’invalidité dans le bus et qu’on lui cède une place assise…
Elle prend des précautions oratoires (dit par exemple une personne de couleur au lieu d’un Noir) pour ne pas « faire de racisme ».
Pfiou !
Comment la faire taire et sortir de mon bureau ?
Je suis obligée de l’interrompre plusieurs fois et la menacer de la mettre dehors si elle ne m’écoute pas.
Je lui affirme que le maire n’a rien à voir là-dedans et qu’il ne « virera » certainement pas une employée pour ça. Qu’elle n’a même pas le droit de le demander.
Je lui dis que ce sont des problèmes relationnels à résoudre à l’amiable et que je ne peux rien faire pour elle, me lève et ouvre la porte.
Elle continue de déblatérer sur tout le monde.
« Venez, madame », lui dis-je en lui montrant la porte.
Elle se plante sur le seuil, je suis obligée de forcer le passage pour pouvoir fermer la porte.
Elle continue dans le couloir et je réponds de loin en loin que je comprends…
Elle demande si elle peut changer de logement.
« Bien sûr, il faut remplir un dossier. »
Arrivée à l’accueil, je demande et lui remets un dossier.
Elle m’apostrophe une dernière fois :
« Et si on me tape dessus, je peux faire quoi ?
— Si on vous tape dessus, vous allez déposer plainte.
— Au commissariat ?
— Oui.
— Et ici aussi ?
— Non, madame, la mairie ne reçoit pas les plaintes. Au revoir, madame. »
Un sourire aux lèvres, je reçois la personne suivante.