M. T. est un client relativement récent. Dès la première fois qu’il m’a contactée, j’ai trouvé qu’il avait une façon bizarre de penser.
Il voulait intervenir auprès du dirigeant, qu’il ne connaissait que par personne interposée, de la société où travaillait la « future ex-femme-de-sa-vie », pour lui faire bénéficier, à elle, d’une formation qui lui avait été refusée. Il s’agissait pour lui de montrer à cette dame, avec qui il était en froid, qu’il tenait ses promesses et avait fait jouer ses relations en sa faveur, et peut-être de la reconquérir.
Il fallait faire passer tout cela dans le courrier : à la fois marcher sur des œufs car la démarche était plutôt cocasse, voire déplacée, insister sur l’avantage pour l’entreprise d’avoir une employée mieux formée et, de là, mieux dans sa peau, et sous-entendre que l’avenir de son couple était en jeu.
Il était satisfait de la lettre qui, à ma grande surprise, a atteint son but.
Il y a quelques jours, il me recontacte car il a encore besoin de moi. Il est hospitalisé, sous médicaments qui le perturbent quelque peu, ce qui entraîne de nombreux appels, ordres et contrordres et des explications embrouillées. Quand je le rencontre pour la dernière touche au courrier, il me confirme ce que j’avais cru comprendre : il faisait un faux pour obtenir la copropriété d’un bien qu’il avait offert à sa « future ex-compagne »… mais pas la même que la fois précédente. J’étais très engagée dans ce travail, je l’ai effectué jusqu’au bout, tout en ne me sentant pas très à l’aise dans mes chaussures. « Vraiment, me disais-je, quel tordu ! »
En début de semaine, il me téléphone, toujours de l’hôpital. Là, je suis plus attentive et sur le qui-vive. Il m’explique que ce qu’il escomptait avec la dernière lettre s’est mal déroulé et qu’il veut régler ses comptes avant de partir à l’étranger, qu’il connaît bien les agissements de la personne en question et qu’il va faire un courrier… Il a d’ailleurs rédigé un brouillon qu’il m’envoie par la Poste.
Ding ding ! Mon alarme résonne et j’attends cette missive avec inquiétude. Inquiétude confirmée hier quand je lis le brouillon en diagonale : il s’agit ni plus ni moins d’une dénonciation aux services fiscaux.
Aujourd’hui, j’ai respiré un grand coup avant d’empoigner mon téléphone :
« Monsieur T, j’ai bien reçu votre brouillon, mais je ne ferai pas ce courrier.
- Ah bon ?
- Non, je ne fais pas de lettre de dénonciation, je ne peux pas faire ça.
- Vous ne pouvez pas ? Bon, je vais me débrouiller et la faire manuscrite alors.
- Je vous retourne vos documents chez vous.
- Oui, d’accord.
- Au revoir monsieur. »
Le reverrai-je ?