« Allô, Monsieur M. ? Ici
Christine Atger, l’écrivain public de l’immeuble. Je suis désolée de vous déranger, mais j’ai dans mon bureau, Monsieur T. de l’immeuble d’à côté. Il est tombé et ne peut pas se relever, et je
n’ai pas la force de le faire. Ça vous ennuierait de monter pour l’aider ? »
Ouf, le gardien ne m’a pas envoyée balader ; il n’est pas dans la résidence, mais m’a promis de venir dans une quinzaine de minutes. Je vais ouvrir la porte
d’entrée. En attendant…
« Vous n’avez pas froid, monsieur ? Vous ne sentez pas de courants d’air venant de la porte ?
- Non, ça va.
- Vous voulez un coussin pour appuyer votre tête ?
- Je veux bien. »
Et me voici, assise par terre au niveau de son visage, à faire la conversation à Monsieur T. allongé aux pieds de mon bureau.
C’est un nouveau client, un voisin. Il se déplace en fauteuil, mais est monté avec seulement l’aide d’une béquille. Je le vois pour la deuxième fois. Il est
toujours en avance : la première fois, je l’ai croisé avec son fauteuil devant l’ascenseur un quart d’heure avant le rendez-vous ; aujourd’hui, j’étais juste à l’heure et il m’attendait appuyé
dans l’encoignure de ma porte.
Tout à l’heure, au moment de partir, il a eu du mal à se lever de la chaise. Il a pris appui à plusieurs endroits, j’ai essayé de l’aider tant bien que mal. Il a
fini par se mettre debout, mais au moment où j’allais lui tendre sa canne, je l’ai vu basculer de l’autre côté. Le retenant par la manche de son blouson, j’ai tenté de le redresser, mais il était
trop lourd ; je l’ai alors laissé doucement glisser à terre.
« Ça va, monsieur, vous ne vous êtes pas fait mal ?
- Non, non.
- Vous pouvez vous relever tout seul ?
- Oh non ! Il faut appeler quelqu’un. »
Les voisins absents, je ne vois qu’une solution : appeler le gardien.
« Ce ne sera pas la première fois qu’il me relèvera ! »
Bon, je n’ai pas trop mal réagi…
Pendant notre causette, Monsieur T. m’apprend que quand ça lui arrive alors qu’il est seul, il ne peut qu’appeler les pompiers – il garde toujours son portable dans
sa poche. Sur sa porte, il a affiché le nom des voisins où on peut trouver ses clés. Il me dit aussi qu’il a maintenant une aide ménagère très costaud qui arrive à le relever… quand elle est là,
ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Assez rapidement, j’entends des voix sur le palier et je vois entrer la gardienne accompagnée d’un grand homme baraqué. Son mari l’a prévenue et elle a trouvé de
l’aide en chemin. Elle connaît la technique : elle bloque les pieds de Monsieur T. avec les siens pendant que l’homme l’attrape par les épaules et le redresse. Et hop ! Monsieur T. est debout. Il
récupère ses esprits et sa béquille et peut redescendre en compagnie de la gardienne.
« La prochaine fois, monsieur, il vaudrait peut-être mieux que vous montiez avec votre fauteuil. »
Monsieur T. acquiesce, mais la gardienne dément : le fauteuil ne passe pas dans l’ascenseur, Monsieur T. est obligé de le laisser dans un local à l’entrée de
l’immeuble et de monter chez lui sur ses jambes. C’est étonnant qu’il n’ait pas osé me contredire…
Voilà un immeuble bien mal équipé !