Dans la salle d’attente, une jeune fille et un jeune homme, assis loin l’un de l’autre, discutent dans leur dialecte. Ils se présentent tous les deux quand j’appelle la personne
suivante. La jeune fille, S., me demande si elle peut entrer avec son frère ; je n’y vois pas d’inconvénient, imaginant soit qu’ils sont venus ensemble, soit, comme cela se fait souvent,
qu’ils ont demandé l’accord des autres personnes.
Je m’occupe d’abord du garçon qui dépose un recours contre un ajournement de sa demande de naturalisation
« en raison du caractère incomplet de [son] insertion professionnelle ». Il argue qu’il travaille depuis quelques mois. Quelque chose dans son attitude me fait éviter de relever qu’il
est seulement en CDD.
S. a le même souci : sa demande de naturalisation est ajournée car le ministère n’est pas « sûr
de la pérennité de [son] activité professionnelle ». Elle travaille à temps partiel comme surveillante de cantine pour la mairie. Là, j’arrive à lui expliquer qu’on considère qu’elle n’est
pas (encore) autonome et capable de vivre seule avec ses ressources. Elle semble comprendre (j’en profite pour prévenir son frère qu’un CDD n’est pas considéré comme une situation stable,
laissant entendre que son recours risque de ne pas aboutir). Elle veut quand même écrire le courrier de contestation. Entre-temps, le frère part car il va travailler.
Au moment où elle sort, le monsieur suivant qui entre l’interpelle, lui reprochant d’avoir prétendu qu’elle
était avec son frère et sous-entendant qu’elle mentait. Le ton monte très vite, surtout pour S. qui ne supporte pas qu’on croie que c’était son copain, car elle n’en a pas, de copain !
J’interviens en poussant le monsieur dans le bureau et en fermant la porte.
Pendant que je travaille pour lui, j’entends des éclats de voix avec les mots « frère » et
« copain » qui reviennent.
Quand je raccompagne M. G., je repère le frère, d’abord dans l’entrée du centre, puis devant. Cela
m’inquiète et j’en parle à K., l’agent d’accueil, et le monsieur entend aussi : pour lui, pas d’autre solution que d’appeler la police.
« On n’appelle pas la police pour un oui ou pour un non ! ».
Je décide de bousculer les événements et m’adresse au frère dehors : « Avez-vous oublié quelque
chose ? ».
Non, il veut discuter avec le monsieur qui a mal parlé à sa sœur.
Scène étrange : le monsieur est dans le centre, le frère, à l’extérieur, et moi, dans l’encadrement de
la porte, entre les deux. Et ils s’expliquent.
Au bout d’un moment, les arguments tournant en boucle, j’essaie de calmer le jeu : le frère n’était
pas là, il ne sait pas comment ça s’est passé ni ce qui a été dit, moi j’y étais, ma version est légèrement différente et j’ai entendu que la sœur a aussi levé la voix… Est-ce que tout cela est
si grave ? Et puis ils ont triché, ce qui explique l’énervement du monsieur…
Le frère finit par se retourner vers moi, me disant que je n’ai rien à faire là, que je n’ai qu’à rentrer
chez moi. Ah pardon, je me sens un peu concernée, et puis je n’ai pas envie qu’un jeune coq agresse un vieux monsieur pour une histoire ridicule, alors qu’il l’a quand même un peu trompé en lui
passant devant.
Je rappelle aussi au jeune homme qu’il devait aller travailler et qu’il risquait d’être en retard.
Ils finissent par partir chacun de son côté. J’espère que l’affaire en restera là.
K. est scandalisée, et inquiète car elle est seule à l’accueil. Elle avait essayé de calmer la jeune fille
qui faisait un esclandre.
Moi, je suis choquée de voir l’arrogance de ces jeunes gens, leur incapacité à prendre du recul, faire la
part des choses et, également, assumer leurs actes. Quel manque de discernement et d’éducation ! Je comprends comment certaines bagarres peuvent éclater.